La Série Surnaturelle
La vie de William Marrion Branham
Owen Jorgensen
L’opprobre de la pauvreté
Chapitre 3
1916-1917
Un jour, Billy rassembla assez de
courage pour demander : « Lloyd, lorsque ton uniforme ne t’ira plus, veux-tu
me le donner ? »
Lloyd répondit : « Bien sûr,
Billy, je te le donnerai. »
Vers la fin octobre, la
température baissa. Tous les matins, les champs étaient recouverts de gelée
qui fondait rarement avant dix heures. Billy, qui n’avait toujours pas de
chemise, grelottait, en courant le long de l’Utica Pike. S’il arrivait à
l’école assez tôt, il pouvait s’asseoir près du poêle à charbon et se
réchauffer avant de gagner sa place habituelle, avant le début de la classe.
Mme Wathen, la femme du patron de Charles, devait l’avoir vu courir à
l’école la poitrine nue, car, un jour, elle lui donna un manteau de seconde
main avec un écusson en forme d’aigle sur le bras. Aimant le luxe de
posséder un manteau si chaud, Billy le portait chaque fois qu’il jouait ou
travaillait à l’extérieur de la cabane. À l’école, il attachait son manteau
jusqu’au cou pour empêcher les autres enfants de voir qu’il ne portait pas
de chemise dessous.
La nuit, dormant dans la
mezzanine, Billy et ses jeunes frères pouvaient voir les étoiles briller
entre les bardeaux du toit. Lorsqu’il commença à neiger, Ella recouvrit ses
garçons d’une toile pour les garder au sec pendant qu’ils dormaient. Le
matin, la toile était couverte de neige.
Ella préparait le déjeuner avant
que les garçons se lèvent : du gâteau sec avec de la mélasse. Un matin, elle
alla vers l’échelle et appela : « Billy! Edward et toi, descendez déjeuner.
»
Billy répondit : « Maman, je ne
peux pas voir. J’ai quelque chose dans les yeux. » Les paupières de Billy
étaient collées ensemble à cause de l’air froid qui avait circulé dans la
mezzanine durant la nuit.
Ella lui dit : « Tu as quelque
chose dans les yeux. Attends un instant, je vais chercher la graisse de
raton. »
Chaque fois que Charles tuait un
raton, il séparait le gras de la viande et Ella le faisait bouillir pour en
faire du lard, qu’elle gardait dans une boîte de conserve. La graisse de
raton était la panacée de la famille. Ella en frictionnait ses enfants pour
un mauvais rhume, avec de la térébenthine et du pétrole de lampe. Ils
l’avalaient lorsqu’ils avaient mal à la gorge. Cette fois, Ella massa les
paupières des garçons avec de la graisse de raton chaude jusqu’à ce qu’ils
puissent ouvrir les yeux.
Billy et Edward se rendaient à
l’école dans la neige, parfois en suivant les traces d’un traîneau, parfois
en enjambant les amoncellements de neige. Ils arrivaient à l’école les
pantalons trempés jusqu’aux genoux. Heureusement, leurs souliers et leurs
pantalons avaient le temps de sécher jusqu’à l’heure du dîner.
Ils transportaient toujours leur
repas de midi ensemble dans un seau à mélasse vide. Ella y mettait un petit
pot de légumes verts, un autre plein de haricots, deux morceaux de pain de
maïs qui restaient du déjeuner et deux cuillers. Billy pouvait sentir le
pain cuit au four pour les repas des autres enfants, cela sentait si bon. Il
savait que ces enfants mangeaient des sandwichs et des biscuits pour dîner
et il avait honte de les laisser voir ses modestes haricots et galettes de
maïs ; alors, Billy et Edward descendaient à la rivière, s’asseyaient sur un
billot, déposaient leurs petits pots entre eux pour manger à l’abri des
regards. Billy prenait, le premier, une cuillerée de haricots, ensuite,
c’était le tour d’Edward de planter sa cuillère, puis, de nouveau, le tour
de Billy et ainsi de suite, jusqu’à ce que les pots soient vides et
équitablement partagés entre les deux.
Peu de temps avant Noël de 1916,
Mme Temple montra aux enfants comment utiliser des bandes de papier bleu,
rouge et blanc, pour en faire des guirlandes à emporter à la maison pour les
suspendre à leur sapin de Noël. Charles n’avait encore jamais eu de sapin de
Noël dans sa maison, mais, lorsqu’Ella vit les décorations de ses fils, elle
décida que ce serait différent cette année-là. Emmenant une hache dans la
forêt, Ella ramena à la maison, un petit cèdre touffu. Elle l’entoura des
deux guirlandes de papier, mais trouva qu’il était trop dégarni. Comme,
pendant l’été, Charles avait fait pousser du maïs au jardin, Ella pensa que
c’était le moment idéal pour l’utiliser. Elle fit du pop-corn dans une
bouilloire qu’elle agitait au-dessus du feu. Avec un fil et une aiguille,
elle enfila le pop-corn en une longue chaîne qu’elle enroula plusieurs fois
autour du sapin, jusqu’à ce qu’elle trouve que son petit cèdre ressemblait à
un vrai arbre de Noël.
La résidence de M. Otho H.
Wathen (à l’arrière) et l’étable (au premier plan) |
M. Wathen
avec l’équipe de baseball Les Colonels en 1916 |
Après qu’elle eut décoré l’arbre,
il restait encore du pop-corn. Alors, Ella le mit dans un seau à mélasse
vide et l’envoya à l’école avec Billy et Edward, comme gâterie pour le
dîner. Les deux garçons mirent la boîte de leur repas au vestiaire, là où
les autres enfants accrochaient leur manteau. (Billy portait encore son
manteau toute la journée, même en classe.) Vers dix heures, Billy se mit à
penser à ce pop-corn. Quel goût cela pouvait-il bien avoir? Puis il pensa :
« Pourquoi n’en prendrais-je pas une poignée avant le dîner? » Alors, il
leva la main et demanda à Mme Temple s’il pouvait aller aux toilettes. Elle
dit oui. En traversant le vestiaire, Billy souleva le couvercle du seau,
prit une grosse poignée de pop-corn, puis remit le couvercle en place. Il
sortit derrière la cheminée de briques et dégusta son pop-corn, bouchée
après bouchée, chacune plus délectable que la précédente. Après cela, il fit
bien attention de s’essuyer les mains et la figure avant de rentrer, afin
que personne ne découvre sa supercherie.
À la pause de midi, Billy et
Edward allèrent à la rivière pour manger sur leur billot. Ils voulaient tous
les deux manger le pop-corn en premier. Lorsqu’ils ouvrirent le seau, ils
virent qu’il manquait le tiers du pop-corn. Edward regarda Billy avec un
étonnement innocent et dit : « Quelque chose est arrivé au pop-corn. »
Billy essaya d’avoir
l’air aussi étonné que son frère. « Ça, c’est sûr. »
Edward ne soupçonna
jamais la vérité.
Les garçons suspendirent leur
chaussette, la veille de Noël. Le lendemain matin, chacun trouva une orange
et trois bonbons dans sa chaussette. Billy pensa : « Le Père Noël est
vraiment un chic type, pour m’apporter tout ça! » Il mangea son orange le
jour de Noël, mais garda les pelures sèches dans ses poches pendant des
semaines, les suçant comme un bonbon.
Un jour de janvier 1917, Billy
remarqua que Lloyd Ford n’avait pas porté son uniforme scout depuis les
vacances de Noël. Il demanda : « Lloyd, qu’est-il arrivé à ton uniforme
scout? »
Lloyd dit : « Oh, je suis désolé,
Billy, j’ai oublié que tu le voulais. Je vais demander à ma mère. » Le
lendemain matin, Lloyd rapporta de mauvaises nouvelles. « Ma mère a pris le
manteau et en a fait un coussin pour le chien. Et elle a utilisé une jambe
de pantalon pour rapiécer les pantalons de mon père. Il ne reste plus que
l’autre jambe. »
Loin d’être embarrassé, Billy dit
: « Alors, apporte-la moi. »
Billy était désormais le fier
propriétaire d’une jambe de pantalon d’un vieil uniforme scout, avec une
bande d’un côté et une ficelle pour la retenir de l’autre. Il avait
tellement envie de porter cette jambe de pantalon pour aller à l’école, mais
il ne savait pas comment faire. Alors, il la glissa dans sa poche, ainsi
prête quand l’occasion se présenterait. Il n’eut pas à attendre longtemps
Une énorme tempête d’hiver
déchargea sa furie blanche sur la campagne de l’Indiana. Certaines congères
de neige avaient plus de dix-sept pieds [5 m] de haut. Puis, il tomba une
neige fondante qui laissa une couche de glace sur les arbres et la neige,
créant ainsi des conditions parfaites pour faire de la luge. Les élèves
d’Utica Pike passaient maintenant leur récréation de midi à faire de la luge
sur une grande colline tout près. Tous les enfants avaient des luges
achetées au magasin ; tous, sauf Billy et Edward. Billy se souvint d’une
vieille bassine de métal qu’il avait vue dans un dépotoir près de la
rivière. Il alla la chercher et, bientôt, Billy et Edward se joignirent aux
autres enfants au sommet de la colline. Ils s’assirent dans la vieille
bassine, Billy derrière, entourant de ses jambes Edward qui était devant, et
ils dévalèrent la colline en tournoyant. C’était vraiment amusant, mais, le
fond rouillé de la bassine finit par céder. Ils durent donc trouver autre
chose pour faire une luge. Cette fois-ci, ils transformèrent un billot de
bois, le taillant jusqu’à ce que l’avant ressemble vaguement à un patin de
luge. La neige était juste assez glacée pour que ça marche. Les deux garçons
dévalèrent, alors, à vive allure les pentes les plus raides de la colline, à
bord de leur luge de fortune.
À la fin d’une descente, les
garçons chutèrent durement au bas de la colline. Billy se releva avec de la
neige dans le manteau et une douleur sourde dans la jambe. Les enfants se
rassemblèrent autour de lui, demandant s’il allait bien. « Oh, je me suis
fait mal à la jambe » grogna-t-il. Soudain, il eut une idée. « Cela me
rappelle que j’ai une jambe de mon uniforme scout dans ma poche. Ça me fera
un bon bandage. » Sortant la jambe de pantalon de sa poche, il enfila sa
basket à travers et l’arrangea autour de sa jambe avec de la ficelle. Au
même moment, la cloche de l’école sonna, appelant les enfants en classe.
Cet après-midi-là, Mme Temple
demanda à Billy de venir au tableau. Il se tenait de côté en travaillant sur
le problème, espérant que les autres enfants ne remarqueraient pas qu’il
portait l’uniforme uniquement sur une jambe. Mais, naturellement, tout le
monde le remarqua. Les rires étouffés se transformèrent bientôt en éclats de
rire. Billy commença à pleurer et Mme Temple l’envoya à la maison plus tôt
que d’habitude.
En avril, Mme Temple amena un
journal de Louisville dont le titre principal était, LES ÉTATS-UNIS
DÉCLARENT LA GUERRE À L’ALLEMAGNE. Elle lut l’article à haute voix,
expliquant comment, le 18 mars 1917, des sous-marins allemands avaient coulé
trois navires marchands américains, forçant le président Woodrow Wilson à
mettre fin à la neutralité de l’Amérique. Les États-Unis étaient maintenant
en guerre.
En dehors de l’école, les chênes
bourgeonnaient. Les jours étaient de plus en plus chauds. L’après-midi,
Billy suffoquait dans son épais manteau d’hiver. Ses orteils sortaient
maintenant par des trous au bout de ses baskets.
Un jour, Mme Temple remarqua que
les élèves assis en arrière faisaient des grimaces et se pinçaient le nez
comme si quelque chose sentait mauvais. Elle se demanda si cela avait
quelque chose à voir avec le jeune William Branham. Pourquoi ce garçon
insistait-il à porter son manteau par un après-midi si chaud? Elle dit : «
William, pourquoi n’enlèves-tu pas ton manteau? N’as-tu pas chaud? »
Le cœur de Billy sembla s’arrêter
de battre. Il ne pouvait enlever son manteau ; il n’avait pas de chemise! «
Non madame, j’ai juste un petit peu froid. »
Elle en fut surprise. « Tu as
froid par une journée pareille? »
« Oui, madame. »
Elle dit : « Tu devrais alors
t’approcher et t’asseoir près du feu. »
Billy avait gardé son secret tout
l’hiver et il n’était pas près de le partager maintenant. Il se leva donc à
contrecœur et plaça sa chaise près du poêle, alors que Mme Temple ajoutait
une pelletée de charbon. La sueur perlait sur son front et dégoulinait sur
son visage.
Mme Temple demanda : « William,
as-tu toujours froid? »
« Oui, madame. »
Elle secoua la tête. « Tu dois
être malade. Tu ferais mieux de retourner chez toi. »
Billy demeura à la maison
plusieurs jours, se demandant comment il pourrait se procurer une chemise
pour retourner à l’école. Sa tante, la sœur de son père, vivait de l’autre
côté de la colline, non loin de leur cabane. Elle avait une fille de l’âge
de Billy. Elles leur avaient récemment rendu visite et sa jeune cousine
avait laissé une robe. Malgré le fait qu’elle avait un petit galon décoratif
devant et derrière, Billy décida de transformer cette robe en chemise. Il
coupa une bonne partie de la jupe et rentra le reste dans son pantalon. Puis
il se regarda dans le miroir cassé, accroché au pommier derrière la cabane.
Il secoua la tête et se croisa les doigts.
Lorsque les écoliers virent le
galon sur sa poitrine, ils se moquèrent : « C’est une robe de fille. »
« Non, pas du tout, insista Billy,
c’est mon costume d’Indien! »
Cette remarque les fit rire encore
plus fort et ils se moquèrent sans pitié. « Billy Branham porte une robe de
fille. Quelle poule mouillée! »
Malgré leurs moqueries, Billy porta cette chemise tous les jours jusqu’aux
vacances d’été. Il ne pouvait pas faire autrement. C’était la seule chemise
qu’il possédait.