La Série Surnaturelle
La vie de William Marrion Branham
Owen Jorgensen
Une demande en mariage muette
Chapitre 15
1933
Bill chérissait chaque minute
qu’il passait en compagnie de Hope. Lorsqu’elle souriait, il souriait.
Lorsqu’elle riait, il riait. Elle amenait quelque chose de magique autour de
lui, quelque chose qu’il ne comprenait pas, mais qu’il aimait. À ses yeux,
elle était tout ce qui était beau et bon dans le monde ; air et pluie, été
et fleurs, bonté et désir... Plus il la côtoyait, plus il voulait être avec
elle. Qu’allait-il arriver à leur relation s’il n’avait plus d’excuse pour
la voir chaque mercredi soir ? Allait-elle s’éloigner de lui ? Bill
frissonnait à cette pensée. Et si elle trouvait un autre petit ami ? Bill
avait le souffle coupé rien qu’à cette pensée. Il ne pouvait risquer de la
perdre. Comment pourrait-il vivre ? Non, il fallait qu’il trouve une autre
bonne excuse pour la voir régulièrement. Puis, comme Billy tournait et
retournait le problème dans sa tête, il lui vint à l’esprit que la meilleure
façon de passer plus de temps avec Hope Brumbach était qu’elle change son
nom en Branham.
À la minute où il se décida à
demander Hope en mariage, ses doutes commencèrent à le torturer sous un
autre point de vue. Son père gagnait 500 $ [350 euros] par mois, étant à la
tête d’un syndicat de travailleurs, la ligne locale de la Pennsylvania
Railroad. Billy, de son côté, gagnait 20 cents [0,14 euro] de l’heure, en
travaillant pour les Services publics et il aidait à entretenir
financièrement, avec son maigre revenu, sa mère, son père, sept frères et
une sœur. Comment pourrait-il subvenir aux besoins d’une épouse ? Tout ce
qu’il avait à lui offrir, c’était son amour et son dévouement. Qui était-il
pour enlever Hope de sa maison confortable et la soumettre aux difficultés
de la pauvreté ? Elle méritait tellement mieux que cela. Après beaucoup
d’angoisse dans son âme et son esprit, Bill décida qu’il ne pouvait pas
demander Hope en mariage. Il l’aimait trop pour gâcher sa vie.
Mais cette décision ne mit pas fin
à sa souffrance ; elle ne fit qu’amener un autre dilemme. S’il n’allait pas
demander à Hope de l’épouser, comment pourrait-il justifier de prendre de
son temps ? Ne serait-il pas mieux pour elle qu’il mette fin à leur
relation ? Le plus tôt il cesserait de la voir, le plus tôt elle pourrait
trouver quelqu’un d’autre, un homme qui pourrait lui offrir une vie
agréable. Oui, c’était la chose à faire. Et c’était ce qu’il devait faire.
Mais...
Même si Billy pensait qu’il serait dans l’intérêt de Hope de lui dire adieu,
il ne pouvait se résoudre à le faire. Il recalcula ses finances et ses
possibilités. Certains de ses frères étaient maintenant assez âgés pour
aider aussi sa mère à payer les factures de la famille. C’était un plus. Et
ses autres frères n’étaient pas si loin derrière. D’ici quelques années, ils
seraient capables de faire leur part. Un autre plus. Peut-être que Bill
pourrait réduire son aide peu à peu sans causer de difficultés
supplémentaires à sa mère. Alors, après tout, s’il travaillait dur,
peut-être qu’il pourrait
offrir une vie décente à Hope. Son
excitation grandissait alors qu’il considérait les possibilités sous
différents angles. Oui, il semblait qu’il pourrait s’en tirer
financièrement. Devrait-il le faire ? Oui, oui. Il allait demander à Hope
Brumbach d’être sa femme !
Mais, prendre la décision de lui
demander et lui demander, c’était deux choses différentes. Comme le mois
d’août laissait la place au mois de septembre, Billy essayait de rassembler
assez de courage pour poser la question décisive. Il regardait ses yeux
sombres et son sourire radieux, et pensait : « Oh, là là, nous serions si
heureux ensemble. » Mais, chaque fois qu’il s’apprêtait à poser la question,
sa bouche devenait sèche et un nœud se formait dans sa gorge, si bien qu’il
avait de la peine à avaler, encore plus à prononcer une phrase
compréhensible. Chaque soir qu’il était avec elle, il essayait de nouveau,
mais les mots refusaient de sortir de sa bouche. Il se disait en lui-même :
« Ce soir je le ferai ! Je ne laisserai pas dix minutes passer à ma montre
avant de lui demander. » Cela ne servait à rien, le temps passait et il ne
pouvait
rassembler le courage
nécessaire pour la demander en mariage.
Bill se tourmentait pendant des
heures à propos de son problème. Parfois, il s’arrêtait dans un fossé où il
travaillait, appuyait son menton sur sa pelle et fixait l’horizon, pendant
que son cerveau creusait et grattait le sol fertile de son esprit, essayant
de trouver une solution. Comment allait-il lui faire savoir qu’il voulait
l’épouser, s’il n’avait pas le courage de parler ? Un moment, il envisagea
la possibilité d’envoyer son ami George DeArk faire la demande à sa place.
Mais cela ne semblait pas la meilleure idée. Hope pourrait même lui dire non
dans ces conditions. Comment pourrait-il s’y prendre, alors ? De quelle
façon ? Puis, il lui vint une idée. Il avait trouvé ! Il allait lui écrire
une lettre.
Ce dimanche soir-là, Billy veilla
tard, papier et crayon en main, peinant sur chaque phrase, composant,
réécrivant, transpirant, jusqu’à ce que cette lettre recto-verso exprime au
mieux ses sentiments. Une fois ce pas herculéen franchi, sa première
intention fut de la remettre à Hope en personne. Puis il l’imagina en train
de la lire silencieusement pendant qu’il se tiendrait à ses côtés, se
tournant les pouces et se mordant les lèvres, se sentant si nerveux qu’il
pourrait facilement s’évanouir. Non, cela ne fonctionnerait pas. Il décida
de la poster. S’il postait sa lettre lundi, Hope la recevrait mardi et elle
pourrait lui donner sa réponse mercredi soir, lorsqu’il la prendrait pour
aller à l’église. Cela lui sembla être un bon projet.
Lundi matin, Billy humecta un
timbre, le colla sur l’enveloppe et déposa sa lettre dans une boîte aux
lettres en se rendant à son travail. Un peu plus tard ce jour-là, alors
qu’il creusait un fossé, une pensée horrifiante lui traversa l’esprit :
qu’arriverait-il si la mère de Hope mettait la main sur sa lettre ? La sueur
perla au front de Billy et ses genoux flanchèrent au point qu’il dut
s’appuyer sur le rebord du fossé. Il pensa : « Si sa mère lit la lettre, je
suis cuit. »
Bill s’entendait bien avec le père
de Hope, Charlie, mais avec sa mère, c’était une autre histoire. Chic et
guindée, Mme Brumbach était fière d’appartenir à la haute société. Elle
habitait une très belle maison, portait des vêtements coûteux, était membre
d’une grande église formaliste et appartenait à une multitude
d’organisations influentes. Elle considérait Billy comme un gentil garçon,
n’ayant vraiment pas assez de classe pour épouser sa fille. Elle prenait
aussi ombrage des convictions religieuses bornées de Billy. Si elle voyait
cette lettre, elle s’opposerait probablement vigoureusement. Elle serait
même capable de pousser Hope à rompre avec lui. Billy frissonna à cette
pensée.
Le mercredi soir, Billy stationna
sa voiture derrière la nouvelle Buick rutilante des Brumbach. Il laissa la
porte de sa vieille Ford ouverte, au cas où Mme Brumbach aurait lu la lettre
et qu’il devrait partir précipitamment.
Hope lui ouvrit : « Bonjour,
Billy. Tu ne veux pas entrer ? »
« Oh, non », pensa Bill. « Tu vas
me faire entrer là où est ta mère et tu vas fermer la porte. Et alors je
serai dans un beau pétrin. » Il sourit timidement et dit : « Merci, Hope,
mais il fait un peu chaud. Je vais attendre ici sur la galerie, en attendant
que tu sois prête. »
« Allez, entre. Papa et maman
veulent te voir. »
Billy pensa : « Ça y est. » Il
entra nerveusement, enleva son chapeau et se tint près de la porte, prêt à
s’échapper rapidement.
Hope lui dit : « Va à la cuisine,
où se trouvent mes parents. Je serai prête pour l’église dans quelques
instants. »
Billy marcha jusqu’à l’entrée de
la cuisine. Les parents de Hope étaient assis à table. « Bonjour, M.
Brumbach. Bonjour, Mme Brumbach. »
Charlie Brumbach, toujours
cordial, dit : « Bonjour Billy. Ne veux-tu pas entrer et prendre un verre de
thé glacé ? »
« Non merci, je n’ai pas soif. »
« Bon, pourquoi ne viens-tu pas
tout de même t’asseoir ici ? »
Le complot semblait grandir. Le
cœur de Billy se mit à battre la chamade. « Non, merci, je vais attendre
ici, si ça ne vous dérange pas. Quel temps magnifique nous avons. »
Mme Brumbach dit : « Oui, quel
temps magnifique. »
Ils parlèrent tous les trois du
temps et de choses et d’autres, jusqu’à ce que Hope descende les escaliers.
Bill put respirer normalement seulement lorsqu’ils furent sur la galerie, la
porte d’entrée bien fermée derrière eux.
« Billy, c’est une si belle
soirée, allons à l’église à pied. »
Une nouvelle vague d’angoisse
traversa Billy. Il pensa : « Ça y est. Elle va me dire que c’est fini entre
nous. Je ferais mieux de la regarder comme il faut, parce que c’est
probablement la dernière fois que je vais être avec elle. »
Mais Hope ne mentionna pas la
lettre sur le chemin de l’église. Billy souffrit le martyre tout le long du
service. Il n’entendit pas un seul mot de ce que prêcha le Dr Davis. Au lieu
de cela, il passa son temps à regarder Hope du coin de l’œil, pensant à quel
point il refusait l’idée de la perdre. C’était une jeune fille si décente.
Ce soir, elle avait l’air plus radieuse que jamais. Il espérait qu’elle
trouverait quelqu’un qui serait bon pour elle. Elle méritait ce que la vie
avait de mieux à offrir.
Il faisait nuit lorsque Bill et
Hope sortirent de l’église et commencèrent à marcher en direction de la
maison. Un quartier de lune était suspendu comme une lampe dans le ciel
sombre. Toutes les fois qu’ils sortaient de l’ombre des arbres, les rayons
de lune contrastaient avec les cheveux noirs de Hope et ses yeux sombres
avec ses douces joues blanches. Billy tremblait d’amour et du désir de
demeurer toujours à ses côtés.
« Alors, Billy, comment as-tu
trouvé le service de ce soir ? » demanda Hope avec désinvolture.
« Oh, c’était bien, j’imagine. »
Billy avait l’impression que sa mâchoire était faite en carton ; elle
semblait si raide et inutile. Il observa Hope pour découvrir un froncement
de sourcil ou un autre indice qui indiquerait que le moment fatidique était
arrivé. Chaque fois qu’elle bougeait les lèvres pour parler, Billy était sûr
que la fin était proche. Au lieu de cela, elle lançait une remarque anodine,
comme si elle n’avait rien d’autre à l’esprit que les plaisirs de l’été
indien.
Comme ils arrivaient en vue de sa
maison et qu’elle n’avait toujours pas mentionné la lettre, Billy commença à
soupçonner qu’elle n’avait pas reçu de lettre du tout. Peut-être que
celle-ci était restée prise dans la boîte aux lettres ou qu’elle avait été
perdue au bureau de poste. Quelque chose devait lui être arrivée. Si Hope
l’avait lue, elle l’aurait sûrement mentionné. Billy retrouva son sang-froid
et sa langue se délia. Il étendit la main et pris Hope par le bras. Il se
sentait bien.
Ils étaient presque devant sa
maison, maintenant. Pendant une pause dans la conversation, Hope dit : «
Billy, j’ai reçu ta lettre. »
Un frisson parcourut l’échine de
Billy ; un nœud se forma dans sa gorge et empêcha l’air de passer, si bien
qu’il avait de la peine à respirer. Il déglutit et réussit à dire d’une voix
rauque : « Vraiment ? »
Hope dit : « Mm-hm » et continua à
marcher.
La tension était insupportable. Il
pensa : « Femme, dis quelque chose, sinon je vais m’évanouir ! » Mais Hope
semblait vouloir laisser ses mots suspendus dans les airs sans faire de
commentaire. Bill pensa : « Là, il faut que je dise quelque chose, parce que
nous ne sommes qu’à quelques pas de sa porte. » Il rassembla tout son
courage et dit : « L’as-tu lue ? »
Elle répondit : « Oui, oui » et
c’était tout.
Billy sentait que ce suspense
allait le rendre fou : « L’as-tu aimée ? »
Ses lèvres ébauchèrent un sourire,
un sourire impitoyable : « Oh, elle était bien. »
Billy sentit une bouffée
d’adrénaline l’envahir. Il arrêta et se tourna pour lui faire face. «
Hope... »
« Billy, j’aimerais beaucoup
t’épouser », dit-elle. « Je t’aime. »
Le lendemain, Bill et Hope se
rendirent au centre-ville, dans une bijouterie. Billy paya 8 $ [5,50 euros]
pour une paire de bagues de mariage. Billy attacha l’alliance dans sa poche
pour ne pas la perdre accidentellement. Puis, il prit gentiment le doigt
gracieux de Hope dans sa main calleuse et commença à y glisser la bague de
fiançailles.
Hope l’arrêta : « Billy, ne
penses-tu pas qu’il serait courtois de demander à Maman et Papa d’abord ? »
Billy sentit battre les muscles de
son cœur. « Oh, là là » pensa-t-il : « nous y voilà de nouveau. » Il
craignait que Hope ne change d’idée si Mme Brumbach s’opposait assez
fermement. Lentement, à contrecœur, il lâcha : « Oui, je suppose. » Puis, il
eut une idée : « Dis, Hope, lorsque nous serons mariés, ce sera
moitié-moitié, n’est-ce pas ? »
« C’est vrai, j’aurai ma part. »
« Et moi la mienne. Qu’en
dirais-tu si on commençait maintenant : tu demandes à ta mère et moi à ton
père ? »
Hope haussa les épaules : « C’est
d’accord. »
« Tu devrais peut-être me laisser
demander à ton père en premier », suggéra Bill astucieusement. Il voulait
obtenir l’accord de Charlie avant que Mme Brumbach en entende parler. Cela
lui semblait être sa meilleure chance.
« Vas-tu lui demander bientôt ? »
« Je le ferai dimanche soir. »
Le dimanche soir d’après, lorsque
Billy ramena Hope chez elle après l’église, ils étaient tous deux assis au
salon en train d’écouter le phonographe Victrola. Charlie Brumbach était en
train de taper un texte à son bureau. Mme Brumbach faisait du crochet,
assise dans une confortable chaise Morris. Hope le regarda en fronçant les
sourcils et lui fit un signe de tête en direction de son père. Bill secoua
la tête et lui fit signe en direction de sa mère. Il ne pouvait demander à
son père maintenant, pas avec sa mère assise au salon. Ça serait comme de
leur demander aux deux. Sa mère pouvait faire une scène et Bill repartir
sans rien.
Billy se leva. « Il est neuf heures et demie. Je crois que je devrais y
aller. » Hope l’accompagna
à la porte, en tenant sa main. Il lui dit bonne nuit et essaya de s’en
aller, mais elle ne lâcha pas sa main.
Elle murmura : « Tu ne lui
demandes pas? »
« Je ne peux pas lui demander si
ta mère est assise là. »
« Dans ce cas, je vais aller à
l’intérieur et tu pourras l’appeler dehors. »
C’était plutôt embarrassant pour
Billy, mais il n’avait pas d’autre idée. « D’accord. »
Hope retourna au salon.
Bill s’éclaircit la gorge : « M.
Brumbach, puis-je vous parler un instant? »
Charlie arrêta de taper et se
retourna sur sa chaise. « Certainement Bill, que veux-tu? »
« Je veux dire, sur la galerie. »
Mme Brumbach quitta son ouvrage
des yeux et fronça les sourcils d’un air inquisiteur. Charlie dit : «
Certainement » et il suivit Bill jusque sur la galerie, en fermant la porte
derrière lui.
Billy observa la lune et dit : «
C’est une belle soirée, n’est-ce pas? »
« Une très belle soirée »
acquiesça Charlie.
« Il a fait très chaud ces
derniers temps. »
« Certainement. »
Bill cherchait les mots justes : «
Vous savez, euh, je me demandais si, euh, si... »
« Tu peux l’avoir, Bill. »
Un soulagement intense l’envahit.
Il aurait voulu embrasser M. Brumbach, mais se contenta de lui serrer la
main. « Charlie, je suis pauvre. Je ne peux pas prendre soin d’elle aussi
bien que vous. Je ne gagne que 20 cents [0,14 euro] de l’heure. Mais,
Charlie, elle ne pourrait pas trouver quelqu’un qui l’aime autant que moi.
Et je vais travailler jusqu’à ce que mes mains soient en sang pour lui
procurer de quoi vivre. Je lui serai fidèle et ferai tout ce que je peux
pour la rendre heureuse. »
Charlie posa sa grande main sur
l’épaule de Bill. « Billy, je sais que tu l’aimes et je sais qu’elle t’aime
; et je préfère que ce soit toi qui l’aie dans ces conditions, plutôt que
quelqu’un qui la maltraiterait, peu importe combien d’argent il pourrait
avoir. De plus, ce n’est pas ce que tu possèdes dans la vie qui compte, mais
c’est de se contenter de ce que l’on a. »
« Merci, Charlie. Je vais m’en
souvenir. »